Un quiproquo de 55 000 km

Partage d’une anecdote éclairante, à l’occasion de la rencontre à Rennes la semaine dernière d’un ancien collègue de travail très aguerri au numérique, et qui me dit : « Alors, bien revenu d’Afrique ? »

Une question logique au vu de la cascade de photographies, twitts et posts envoyés presque chaque jour par le climate change lab et ses partenaires au fil des trois vagues d’ateliers qui se tiennent depuis juillet dans 11 pays francophones pour « Faire, apprendre, partager face aux effets du changement climatique », dans le cadre du projet #forgeCC.

Nous recevons aussi des messages de français solidaires qui nous proposent de rencontrer sur place au sud, autour des ateliers, des organisations, personnes souhaitant outiller ce défi par des communs numériques. En Afrique de l’ouest, Tunisie, en Afrique centrale, etc.

Pour rappel nous avons avec nos partenaires conçu une plateforme expérimentale qui débouche depuis le mois de juillet 2022 sur l’organisation de 30 ateliers en Afrique francophones, organisés par des structures de tous types qui s’engagent au travers un contrat de communs expérimental à :

• Assurer l’organisation d’ateliers gratuits pour les populations répondant aux objectifs de développement durables et aux défis résilience des territoires de l’ADEME
• Garantir et prendre la responsabilité de la sécurité des participants
• Documenter la conduite pédagogique de ces ateliers sous une licence compatible avec les libertés inscrites dans le logiciel libre (cc by sa pour nous) et renoncer à toute exclusivité
• Documenter la fabrication/création du service ou de l’objet dans un document permettant à toute organisation de le/la répliquer, en renonçant à toute exclusivité

Le Climate Change Lab, de son côté, s’engage à accompagner tout ce processus, renoncer également à toute exclusivité, et assurer la diffusion, l’accès aux livrables au travers la plateforme de partage de communs et de contribution forgecc.org.

A ce stade (nous y reviendrons dans un autre post), plus de 30 organisations ont signé ce contrat de communs, après une impulsion et une vague de test organisée avec le Réseau des Fablabs Francophones d’Afrique de l’Ouest. De Tunis à Douala. Plus de 1000 photographies des ateliers nous sont parvenues. Près de 1000 participants ont appris, construit, créé dans ces ateliers. 425 pages de conduites d’ateliers sont disponibles sous licence CC by SA et bien plus en documentation de re-fabrication.

Pour chacun des ateliers, si nous étions physiquement sur place, il faudrait avoir : un(e) documentariste pour interviewer les pédagogues sur la conduite de l’atelier, un(e) photographe pour prendre trace du terrain, voire même une personne pour aider à la logistique repas, hébergement, transport.

Mais le Climate Change Lab vise à effondrer les flux de matière et donc d’énergies fossiles pour fabriquer et déplacer les objets entre des noeuds locaux (territoires). Faire décroître la surconsommation et la pollution liés aux déchets. On fait donc autrement.

Voici la cartographie des trajets d’un atelier à l’autre en suivant l’agenda chronologique des ateliers organisés au terrain depuis juillet 2022 (30 événements) en simulant le transport depuis notre espace de travail en France puis sur chaque site au terrain et avec le retour.

Le premier au Bénin, le dernier au Cameroun, le tout tracé sur calcmaps.com avec le calcul kilométrique (je n’ai pas compté le temps…).

Le total objectivé pour une personne seule est de 55 000 km. Pour une équipe de trois, plus de 150 000. Des km que nous n’avons pas fait !

Le projet est piloté depuis un tiers-lieu connecté de France, La Canopée à Janzé près de Rennes, où nous avons pu installer un salarié de février 2022 à février 2023 grâce à nos partenaires. Et qui dispose d’un ordinateur portable et d’un smartphone. La totalité du processus est déployée en coopération avec les partenaires et organisations de terrain à distance. Pour nous, ceci est rendu possible par une histoire longue avec nos partenaires au sud, de la confiance, un dispositif de contrôle transparent, et la motivation des parties prenantes.

Nous avons un protocole de travail commun avec un cloud de documentation brute : tout le monde est photographe. Des formulaires et documents-types permettant de travailler en asynchrone : tout le monde est documentariste. Un garant facilitateur qui anime, aide, retaille les images, corrige si nécessaire les fautes d’orthographe, s’adapte aux contraintes de connectivité, reports d’ateliers liés à des événement sécuritaires locaux, rend les livrables homogènes (le Climate Change Lab), réalise des interviews à distance pour documenter les conduites pédagogiques d’ateliers.

Nous aimerions partager les enseignements de ce projet avec les acteurs de la coopération internationale intéressés, et expliquer pourquoi cette méthode correspond à notre vision d’ un autre numérique sobre. Le numérique qui nous permet dans ce projet de partager des plans d’objets téléchargeables à interpréter localement en recombinant les atomes, et non de déplacer les objets ! De partager des méthodes de conduites d’ateliers et non de les superviser obligatoirement soi-même là où elles seront rejouées.

Nous sommes donc ici heureux de dissiper ce quiproquo de 55 000 km 😀

Comme disait Galillée au sujet d’un corps céleste un peu plus petit en diamètre (la terre), on peut dire au sujet de notre méthode : et pourtant, elle tourne !

Hugues Aubin – CC Lab